Si une part importante du plan de relance a été consacrée à la transition énergétique, les établissements publics de santé en ont été exclus.
Or, les CHU, conscients de leurs responsabilités, se mettent en ordre de marche pour accompagner cette évolution à partir des retours d’expérience des patients, des recommandations de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), des bonnes pratiques construites avec les équipes soignantes et de l’expertise de leurs services techniques.
Si ces objectifs sont identifiés par les CHU, ils n’épuisent pas la question de l’intégration durable des établissements de santé dans leur écosystème. Les CHU ne doivent pas uniquement réussir leur transition énergétique, mais aussi jouer pleinement leur rôle en matière de santé environnementale. Ils sont ainsi à l’avant-poste des enjeux de prévention, d’enseignement et de recherche dans ce domaine.
Donner tout son sens à ces évolutions relève d’une démarche globale de transformation dont les tenants et aboutissants sont aussi économiques, sociologiques et culturels. Au regard de cette ambition hospitalière et citoyenne doivent correspondre des moyens financiers réels, mobilisés de manière stratégique et équilibrée entre les acteurs (privés, publics, maîtres d’œuvre, maîtres d’ouvrage, fournisseurs…).
Pour mettre en mouvement cette approche sur un temps long, nos établissements ont besoin :
- d’un soutien opérationnel et significatif de la part de l’État, en matière de conseil mais aussi d’expertise, juridique et financière (prêts bonifiés complémentaires aux offres du secteur bancaire, protection face au risque tarifaire et au risque de rupture d’approvisionnement…). Les initiatives mises en œuvre dans les CHU (voir dossier joint) sont nombreuses, elles s’appuient souvent sur des actions de long terme. Il en est ainsi de la nécessité d’investir dans les bâtiments durables pour limiter les dépenses d’énergie, la meilleure performance durable étant ce que l’on ne consomme pas ou plus ;
- les établissements de santé représentent un patrimoine immobilier important, hétérogène et parfois ancien qui accueille quotidiennement dans les CHU près de 400 000 salariés et des millions de patients. La délivrance des soins mais aussi la recherche et les fonctions d’appui (laboratoires, bloc opératoire, stérilisation, usage de l’eau, gestion des déchets, blanchisserie, contraintes d’hygiène…) demeurent « par nature » à forts enjeux environnementaux. Une approche globale est donc indispensable pour utiliser de façon pertinente l’ensemble des ressources et avoir une gestion de l’énergie responsable et mieux-disante. L’engagement des personnes soignées mais aussi des professionnels est donc incontournable, en respectant l’intérêt supérieur du patient et sans fixer aux équipes des objectifs inatteignables.
L’urgence d’une action repensée et massive pour mieux gérer nos ressources est également liée à l’importante hausse des prix prévue dès la fin de l’année 2021, mais qui s’est progressivement accentuée.
Après la crise Covid, qui a déjà conduit à une hausse des prix et des tensions importantes d’approvisionnement sur certains segments d’achat (en particulier les équipements de protection individuelle), la reprise post-Covid et la guerre en Ukraine engendrent une inflation mondiale dont les répercussions sont majeures sur la continuité de fonctionnement des établissements publics de santé :
- hausse des dépenses de fonctionnement et d’investissement ;
- gestion des ruptures et tensions d’approvisionnement sur une gamme très large de produits et matériaux ;
- instruction chronophage des demandes de révision des prix et nouvelles stratégies marché à développer ;
- retard dans les opérations de travaux dont ceux de mise en conformité/sécurité (avec parfois des mises en suspens) ;
- dégradation qualitative des projets d’investissement en cas d’arbitrages négatifs du fait des coûts induits par les normes HQE.
Les résultats français en matière d’inflation s’écartent des résultats des autres pays européens (environ 2,5 points de pourcentage de moins par rapport à l’inflation moyenne dans la zone euro) du fait du rôle pris par l’État pour amortir les effets de la hausse des prix. Si ces mesures ont un effet provisoire sur l’inflation, il est potentiellement durable pour les finances publiques. Les CHU seront donc particulièrement vigilants sur les conséquences à long terme quant à la stratégie financière permettant de faciliter la transition écologique que notre Conférence appelle de ses vœux.
Soutenir une évolution durable de notre modèle de production de soins passe par des choix clairs qui ne pourront se faire sans le concours de l’État :
- privilégier les établissements qui s’engagent dans une démarche de transformation durable pourrait ainsi utilement passer par un système de labellisation (impliquant un effet levier réel en matière de financements publics ou privés), propice à la fidélisation des professionnels et à l’adhésion des patients. L’engagement des établissements dans la décarbonation de leurs activités de soins et de leurs conditions d’exploitation pourrait constituer un des piliers de ce green label hospitalier ;
- prendre en compte la consommation de ressources dans les restructurations de l’offre de soins, par exemple en questionnant la pertinence d’établissements isolés, à faible activité car l’empreinte énergétique deviendra un sujet de central pour l’organisation même des soins de nos territoires ;
- faire preuve d’une grande vigilance pour éviter tout effet d’aubaine dans les éventuels mécanismes de compensation entre les secteurs privé et public. L’inflation s’applique à tous les domaines d’activité et les salaires concourent au mécanisme global (boucle prix-salaires). Il convient donc d’avoir une vision globale des mécanismes de compensation possibles face à la hausse des prix (achats, énergie, salaires) pour éviter de sur ou sous-avantager certains acteurs, et ce en prenant pleinement en compte les contingences de service public (et donc d’intérêt général) qui régissent l’activité d’une partie d’entre eux.
Au fond, ne sommes-nous pas à un tournant, au « vrai » tournant du siècle en rupture avec la société de l’énergie et des matières premières bon marché ? Pourrons-nous, devons-nous garder l’architecture historique de l’organisation des soins avec 3 000 établissements, dont 1 000 avec des plateaux lourds ?
Les enjeux de santé environnementale ne doivent pas se borner à l’affaire de quelques-uns, ils doivent devenir l’affaire de tous, professionnels et patients, pour agir sur notre rapport à la prévention et aux soins. Ils doivent être soutenus par un État stratège qui ne méconnaisse pas le rôle des établissements publics de santé, soumis aux règles de la commande publique, dans ces évolutions. Ainsi, les treize mesures annoncées par le gouvernement le 22 septembre, à l’issue des Assises du bâtiment et des travaux publics, ne doivent pas constituer une réponse unique, en l’occurrence dédiée aux entreprises. Les effets de la hausse des prix sur les capacités d’investissement des établissements de soins, engagés par ailleurs dans un processus de transition énergétique, doivent aussi être pris en compte.
Nous ne sommes plus dans un monde sans fin, mais dans un monde de la réutilisation, de l’économie circulaire à faible émission de carbone. La résilience des établissements de santé devra tenir compte d’un bouclier sanitaire fondé sur une organisation valorisant la pertinence sur le volume, la durabilité des compétences et des architectures.