Une réforme qui suppose une prise de conscience des usagers, des professionnels et des institutions pour éviter les sollicitations excessives et permettre anticipation, rationalisation et innovation dans les choix collectifs.
Dans l’horoscope chinois, l’année du Lapin incarne l’élégance, la paix et une pincée de chance. Le service public de la santé devra nécessairement compter sur d’autres apports, en faisant preuve de transparence, de solidarité et d’inventivité. À défaut, il n’y aura ni partage de valeurs, ni diagnostic objectif de la situation, ni perspectives d’évolution socialement et financièrement soutenables.
Notre difficulté collective, et finalement historique, pour considérer que notre système de santé va bien ou mal découle notamment du manque de repères pour apprécier la justice sociale de son activité :
- Est-il juste que la hausse objective des effectifs depuis plusieurs années n’implique pas automatiquement une amélioration des conditions de travail et une meilleure continuité de la permanence des soins (tout en consacrant la baisse du nombre d’emplois administratifs, plus nombreux dans le secteur privé que public) ?
- La valorisation financière doit-elle privilégier les professionnels qui s’engagent plus (heures supplémentaires, prime d’exercice territorial et d’engagement de carrière hospitalière, TTA..) ou ne s’entendre que si elle profite à celui ou celle dont la situation salariale est la plus dégradée ?
- Comment se professionnaliser sur un domaine précis au sein d’une discipline, tout en étant formé plus largement au management, au pilotage médico-économique, à la santé publique, sans méconnaître son engagement dans la recherche ou l’enseignement ?
- La saturation des services d’urgence est en partie due à des origines sociales (recul du port du masque, sur-sollicitation historique de l’offre de soins), est-il « juste » pour les populations que cela se traduise par des délais d’attente en amont de la prise charge en urgence pouvant aller jusqu’à 7/8 heures ?
Au manque de valeurs largement partagées, hormis le principe général de soins auprès des personnes qui en ont besoin, s’ajoute le poids des diagnostics partiels (voire partiaux) qui peuvent compromettre la juste décision. Redonner de l’élan et de la confiance implique de prendre en considération des évolutions concrètes et objectives :
- L’hôpital reste une structure clairement hiérarchisée dans les unités de soin. Ces structures peinent parfois à concilier la diversification croissante des métiers, y compris soignants (IPA, infirmières de coordination, bed-managers…) et la reconnaissance de la pénibilité (qui mérite, au même titre que l’expertise, une juste reconnaissance : travail de nuit, soins dits « lourds », nursing, manutention…). Les travaux en cours sur la réforme des retraites devront nécessairement remettre sur le métier la question des carrières dites « longues ». Les efforts d’ingénierie, de financement et d’organisation développés par les établissements pourront être utilement rappelés dans ce débat sur la pénibilité tant les vecteurs de financement demeurent réduits en pratique. Les services hospitaliers de 2023 n’ont que peu de choses à voir avec les équipes qui les composaient il y a vingt ans (massification des évolutions technologiques, diversification des fonctions de l’encadrement, nouveaux métiers, aspirations de la génération Z, biais de sélection du fait de parcours sup…).
- La tarification à l’activité a été pensée comme un modèle permettant de financer tous les actes pratiqués en établissements, tant ceux qui « coûtent » que ceux qui « rapportent ». Elle n’a cessé de dériver depuis sa création puisqu’elle s’est rapidement transformée en un outil de régulation de l’Ondam, imposant des contraintes et des conditions de fonctionnement sensiblement différentes aux établissements en fonction de leur caractère public ou non.
- L’investissement hospitalier a longtemps été financé sur la base du « tout-emprunt » (avec en conséquence un endettement massif des établissements que le Ségur n’est que partiellement venu compenser), mais aussi organisé sur la base de ratios peu réalistes (abaques du Copermo) au regard du besoin d’adaptation des services en fonction de la charge en soins des patients qui y résident.
- Notre offre de soins peine à se rationaliser, à la différence des autres pays du nord de l’Europe. Cet émiettement de l’offre de soins, fortement conditionné aux souhaits des élus locaux au profit de petits établissements, emporte un certain nombre de conséquences comme la prolifération d’un intérim médical (et de plus en plus soignant) qui « saigne » les ressources des établissements qui s’engagent dans la surenchère salariale et qui conduit à la démobilisation des professionnels des établissements pivots du territoire, lesquels viennent en renfort des plus petits établissements (au prix d’une forte lassitude dans les équipes des plus gros centres, privés de fait de leur fonction de recours, ce pour assurer la proximité).
L’hôpital est un lieu de soins, mais il est aussi par essence un objet politique au sens premier du terme, parce qu’il traduit et absorbe des choix de la société et des hommes politiques qu’elle élit pour les assumer. Il est donc par définition un lieu d’exacerbation des points de vue, en confrontation complexe et permanente entre l’évolution du coût des traitements et techniques, la surconsommation médicale, les justes revendications salariales des professionnels les moins bien rémunérés, les évolutions de leur rapport au travail, les problématiques sociales croissantes de la population, auxquelles l’hôpital public est le plus souvent seul à répondre, et les moyens que la société est prête ou capable de mettre dans sa santé.
L’hôpital public doit rester un acteur majeur de la continuité et de la sécurité des soins et un repère signifiant pour les populations. Il demeure un service public qui a démontré sa très grande capacité d’adaptation à l’aune de la crise sanitaire, mais aussi de la crise des ressources humaines qui l’a suivie.
Dans un environnement marqué par l’érosion de la démographie de l’ensemble des professions de santé et par la hausse des prix, les établissements de recours ne parviennent à assurer leur fonction de bouclier sanitaire qu’au prix d’une dégradation progressive de leur capacité de prise en charge, de leur soutenabilité financière et de la fragilisation de la résilience des équipes.
Sortir des impasses actuelles et conserver la capacité d’innovation de l’hôpital public suppose une série d’actions en transparence et en responsabilité autour d’un nombre limité d’axes, lisibles pour la population comme pour les professionnels de santé :
1° Remettre en place une véritable graduation des parcours et des soins. La restauration de la première ligne ambulatoire sur l’ensemble des territoires et de sa permanence doit permettre d’effectuer l’indispensable transformation de l’offre hospitalière de proximité.
Les nouveaux schémas régionaux de santé doivent organiser de manière sécurisée la sortie du « tout partout », et ce en cohérence avec la réforme des autorisations.
La France compte encore un nombre de lits d’hospitalisation par habitant parmi les plus élevés d’Europe ; or, la logique de la proximité indispensable en soins primaires dessert dans la plupart des cas la sécurité et l’efficacité de la prise en charge du fait de plusieurs facteurs : un nombre insuffisant d’actes pour garantir la technicité des gestes, un recours massif à l’intérim médical et soignant souvent moins qualitatif, des parcours de soin dégradés par l’insuffisance de présence médicale H24 et 7 j/7 et, in fine, l’incapacité à maintenir ouvertes de manière stable certaines activités, notamment les urgences.
La transformation des capacités MCO, trop dispersées, en lits de SSR permettrait de fluidifier les parcours et contribuerait au bon usage des capacités d’hospitalisation.
2° Sécuriser la permanence des soins : il est urgent de revaloriser les gardes et le travail de nuit en introduisant une pondération de la valorisation de la permanence des soins en fonction du niveau de contrainte effective qu’elle fait peser sur les professionnels. Sans cette revalorisation graduée, nos établissements ne seront bientôt plus en capacité de mobiliser les professionnels dans les services H24. En outre, cette permanence, « socle » des missions de service public, doit peser avec la même exigence sur tous les opérateurs titulaires des autorisations, quel que soit leur statut, dès lors qu’ils bénéficient des mêmes financements publics.
3° Créer un choc de recrutement et de fidélisation des professionnels pour améliorer les conditions de travail et la sécurisation des soins. Si l’adaptation des densités de professionnels au chevet du patient constitue pour les cadres, les chefs de service et les directions un sujet de tous les instants, la réflexion en devenir sur les ratios d’effectifs ne peut que constituer une réflexion à moyen terme, qui ne peut relever que des établissements publics. Elle repose tout à la fois sur l’évolution des financements et la capacité réelle à former, attirer et fidéliser. Le retrait de la clause sur l’interdiction d’intérim en sortie d’école, les difficultés d’adaptation des capacités de formation du fait de la couverture partielle par les régions des extensions spatiales indispensables, la fin de la couverture financière des formations d’Iade et d’Ibode, l’insuffisante mobilisation des collectivités sur l’aide au logement des professionnels de santé et le manque d’ambition en termes d’attractivité de professionnels étrangers constituent autant d’obstacles à lever.
4° La volonté de revaloriser la place du service, sans nécessairement abolir les pôles dans les plus grands établissements, doit se traduire dans les faits. Cet engagement est une clé pour redonner sens et énergie aux équipes. Il passe par un appui massif aux fonctions managériales pour animer des fonctionnements participatifs et entraînants, aux dispositifs visant à réduire les irritants du quotidien, à la simplification des organisations et à la construction des projets communs. Nous sommes convaincus que ces évolutions en matière d’animation et de vie des équipes sont une des clés de l’attractivité. Ces actions doivent être encouragées et soutenues auprès de l’ensemble des gouvernances hospitalières.
Point n’est besoin d’être un observateur initié de la vie hospitalière pour observer et apprécier la somme des réglementations dont nous nous sommes affranchis pendant cette crise, en nous appuyant sur la loi d’urgence sanitaire et notre bon sens professionnel. Le corps de règles qui pèsent sur l’hôpital public est important et il accentue fortement l’impact de la contrainte financière, réduisant la capacité d’adaptation de l’hôpital. Redonner des marges de manœuvre, de la souplesse de décision et restreindre les normes à leur rôle légitime, celles qui garantissent la qualité des soins, est un défi majeur pour faire évoluer l’hôpital et, à travers lui, le système de santé, dans le « monde d’après ».